À quelle température stocker les produits chimiques ?

Naturellement, lorsque nous travaillons en laboratoire, nous nous posons des questions sur le stockage des produits chimiques : dans quelles conditions les stocker et surtout, à quelle température, afin d’éviter un accident. Tentons donc de définir ce qu’est la température en tant qu’unité avant de caractériser le stockage des composés organiques selon leur nature.

La température ? Des particules qui s’agitent…

Nous savons tous que dans notre Univers, tout objet est soumis à un mouvement permanent provoqué par différentes forces. Ainsi, toutes les planètes du Système solaire tournent autour du Soleil alors que ce dernier tourne autour du centre de la galaxie. Entrons au cœur de la matière : elle est composée d’atomes ou de molécules qui possèdent une certaine d’énergie interne U.

Cette énergie est responsable du mouvement permanent des atomes et des molécules. Ce « mouvement » au niveau moléculaire s’appelle l’agitation thermique. C’est ici que la température entre en scène ; scientifiquement parlant, la température peut être considérée comme une fonction croissante du degré d’agitation thermique des particules (atomes, ions, molécules). La température mesure la force de cette agitation. Ainsi, lorsque l’agitation est faible, on considère le matériau comme froid ; la température est donc basse.

Donner une énergie supplémentaire à un système (tout simplement en le chauffant) conduit à l’augmentation de la température qui se traduit par une intensification de l’agitation des particules. Cette augmentation peut entraîner une décomposition partielle des produits chimiques ou créer un excès de vapeurs toxiques, voire explosives. Afin d’éviter ces effets indésirables, il est nécessaire de connaître le comportement chimique et physique des composés organiques couramment utilisés en laboratoire.

Stockage à mauvaise température, danger à coup sûr

La liste ci-dessous présente des produits chimiques dangereux devant être stockés suivant une plage de température spécifique. Elle n’est pas exhaustive ; elle aidera cependant à évaluer les risques chimiques les plus courants en cas de non-respect des recommandations de stockage.

Les documents de communication règlementaires des dangers (étiquetage et fiche de données de sécurité ou FDS) n’indiquent pas de température précise pour le stockage des produits inflammables ou explosifs. Ils peuvent cependant comporter des conseils de prudence prescrivant une conservation au frais ou au froid.
Le dépassement de la température de stockage requise ou recommandée peut engendrer de graves conséquences sur les personnes ou les biens et entraîner :

  • des risques pour la santé suite à la libération de gaz nocifs ou à la projection de produits toxiques ;
  • des risques physiques suite à une réaction chimique exothermique secondaire pouvant conduire à un incendie ou à une explosion ;
  • des risques physiques suite à l’explosion d’un contenant fermé en raison de l’expansion lors d’une vaporisation ;
  • des impacts sur l’environnement si un produit chimique toxique ou persistant est dispersé.

Il faut s’abstenir de congeler les bidons et les bouteilles. Si les cycles de congélation-décongélation n’influent généralement pas sur les propriétés chimiques du contenu, ils peuvent endommager le récipient en raison de l’augmentation du volume lors de la congélation. Dans le cas de la congélation de mélanges hétérogènes (suspension, émulsion, crème), il peut cependant se produire une séparation irréversible des phases, ainsi qu’une altération des propriétés chimiques de certains mélanges.

Comment déterminer la température de stockage appropriée ?

L’un des documents de référence en la matière est la fiche de données de sécurité (FDS). Elle délivre, sous plusieurs de ses rubriques, des informations relatives aux conditions d’un stockage sûr :

  • rubrique 2 : identification des dangers ;
  • rubrique 7 : manipulation et stockage (cette rubrique peut comporter des paramètres spécifiques tels qu’une température de stockage minimale et maximale recommandée) ;
  • rubrique 9 : propriétés physiques et chimiques (point de fusion/congélation) ;
  • rubrique 10 : stabilité et réactivité.

Les propriétés physiques des composés organiques couramment stockés en laboratoire

Les alcools

Les alcools sont des substances organiques contenant un ou plusieurs groupes hydroxy (-OH). Les plus couramment utilisés en laboratoire sont les alcools inférieurs (pourvus d’une petite chaîne carbonée) tels que le méthanol, l’éthanol, le 1-propanol et le 1-butanol.

Les alcools supérieurs possèdent une longue chaîne carbonée et peuvent donc se présenter sous la forme de solides (par exemple l’hexadécanol CH3(CH2)15OH qui est largement utilisé dans l’industrie cosmétique) ou de liquides à point d’ébullition élevé. Ils ne nécessitent pas de conditions de stockage particulières et ne seront pas abordés ici.

Les alcools inférieurs (exemples ci-dessous) sont classés comme des liquides inflammables (catégorie 2 selon la réglementation CLP). Ils doivent donc être conservés au frais dans des armoires ventilées. Tous les récipients doivent être hermétiquement fermés afin d’éviter l’évaporation, car les vapeurs sont inflammables et, sous certaines conditions, (température élevée, flamme nue, étincelles) peuvent s’enflammer et provoquer l’explosion du site de stockage si celui-ci n’est pas ventilé.

Les cétones

Cette classe de composés organiques contient un groupe fonctionnel R-C(=O)-R’ (carbonyle) avec une liaison double C=O, où R et R’ peuvent être une variété de substituants contenant du carbone. La cétone la plus courante est la diméthylcétone, plus connue par son nom historique d’acétone. Elle est utilisée le plus souvent comme solvant avec un marché mondial de près de 8 millions de tonnes en 2021.

L’acétone est un liquide inflammable (classé catégorie 2 selon CLP) qui doit donc être stocké au frais dans un endroit ventilé. Les vapeurs d’acétone sont également hautement inflammables et peuvent être explosives lorsqu’elles sont suffisamment présentes dans l’air (limites d’explosivité ou d’inflammabilité 2,15-13 %). Il faut donc tenir le récipient à l’écart de la chaleur, des surfaces chaudes et des étincelles car le domaine d’explosivité, du fait de sa limite basse, est très facilement atteint.

Les acides

Ce sont des molécules organiques possédant un groupe carboxyle (-COOH) responsable des propriétés acides. Les acides les plus couramment utilisés en laboratoire sont les acides formique, acétique et propanoïque. Tous ces composés sont répandus dans la nature : l’acide formique est présent en petite quantité dans les feuilles d’orties et est sécrété par les fourmis. L’acide acétique est présent dans le vinaigre et des traces d’acide propanoïque ont été trouvées dans la sueur humaine, lui conférant son odeur caractéristique.

Tous ces composés sont miscibles à l’eau et leur solution conserve des propriétés acides même après plusieurs cycles de congélation-décongélation. L’acide acétique 100 % est également appelé glacial car lorsqu’il est stocké à une température inférieure à 16 °C, il gèle et devient solide. Cependant, comme précisé ci-dessus, ses propriétés chimiques et physiques n’en sont pas affectées. Les vapeurs d’acide acétique sont inflammables, ce solvant appartient à la catégorie 3 des liquides inflammables selon la réglementation CLP.

Différentes études ont été menées sur les acides formique et propanoïque qui montrent des tendances similaires sur l’inflammabilité des vapeurs. Aussi, ils appartiennent tous à la catégorie 3 des liquides inflammables et doivent être stockés au frais dans des endroits ventilés.

Les esters

Chimiquement parlant, un ester est un composé dérivé d’un acide (organique ou inorganique) dans lequel l’atome d’hydrogène (H) d’au moins un hydroxyle (-OH) du groupe carboxyle (-COOH) est remplacé par un groupe organique (-R). Dans la plupart des cas, le groupe -R provient des alcools. Ce type de composé est largement répandu dans la nature. Les glycérides, par exemple, (esters d’acides gras de glycérol) sont d’importants éléments constitutifs des lipides. D’autres représentants des esters (esters d’acides organiques inférieurs et d’alcools inférieurs) sont présents en très petites quantités dans les fruits ; volatils, ils sont responsables de leur odeur.

Enfin, dans le domaine de l’industrie et au laboratoire, les esters sont utilisés comme solvants. L’exemple le plus représentatif est l’ester de l’acide acétique et de l’éthanol, c’est-à-dire l’acétate d’éthyle. C’est un liquide inflammable classé comme « liquide inflammable de catégorie 2 ». Il convient donc d’appliquer les mêmes précautions de conservation que pour les alcools.

Les éthers

Il s’agit d’une grande classe de composés organiques contenant ce que l’on appelle un groupe fonctionnel éther : un atome d’oxygène relié à deux groupes alkyles (chaîne carbonée ouverte linéaire ou ramifiée) ou aryles (contenant un cycle aromatique). Ils répondent à la formule générale R-O-R’, où R et R’ représentent les groupements alkyles ou aryles et peuvent être classés en deux groupes : les éthers cycliques et les éthers linéaires. La plupart de ces composés sont utilisés comme solvants.

Certains éthers linéaires (éther diéthylique, diméthoxyéthane, 2-méthoxyéthanol et 2-éthoxyéthanol) sont largement utilisés dans l’industrie. Toutes ces molécules sont classées comme liquides inflammables, mais sous des catégories différentes.

L’éther diéthylique était autrefois utilisé en médecine comme anesthésique. Il appartient à la catégorie 1 (liquides inflammables). Il doit donc être stocké dans un endroit ventilé. Après utilisation, les flacons doivent être refermés de manière étanche car les vapeurs sont très inflammables et explosible en mélange avec l’air[1].

Quant aux diméthoxyéthane, 2-méthoxyéthanol et 2-éthoxyéthanol, ils sont tous classés CMR (toxique pour la reproduction, catégorie 1A et 1B).

Ils doivent être stockés au frais comme les alcools. Le diméthoxyéthane est un liquide inflammable de catégorie 2 alors que le 2-méthoxyéthanol et le 2-éthoxyéthanol sont des liquides inflammables de catégorie 3, en raison de leur point d’ébullition élevé. Les éthers cycliques les plus répandus sont l’oxyde d’éthylène, le tétrahydrofurane (THF) et le 1,4-dioxane.

L’oxyde d’éthylène est un gaz à température ambiante : son point d’ébullition est de 10,6 °C[2]. Selon la réglementation CLP, l’oxyde d’éthylène est classé comme gaz inflammable (catégorie 1A, limites d’explosivité ou d’inflammabilité 3-100 %). La molécule est instable en raison de tensions internes au cycle ; le produit doit donc être stocké dans un endroit bien ventilé. La bouteille d’oxyde d’éthylène doit être tenue à l’écart de la chaleur et des étincelles.

Le THF et le 1,4-dioxane sont des liquides inflammables (catégorie 2). II convient donc d’observer les mêmes précautions que pour les alcools. Le dioxane est le moins volatil parmi ces trois molécules (Eb. : 101,1 °C)[2] ; elles sont également toutes le trois des substances CMR. L’usage en grande quantité du THF et du 1,4-dioxane comme solvants dans les laboratoires scientifiques, implique la mise en place des dispositifs de protection adéquats tel que le captage à la source.

Les cycles de congélation-décongélation n’ont pas d’impact sur leur comportement chimique.

Les éthers couronnes constituent une autre catégorie représentative d’éthers cycliques. La plupart d’entre eux sont des solides stables et ne nécessitent pas de stockage à une température particulière, mais ils sont hygroscopiques et peuvent absorber de l’eau jusqu’à devenir liquides. Ils sont principalement utilisés en chimie comme ligands sélectifs (capacité à réagir sélectivement avec certains métaux) des ions des métaux alcalins[3].

Les composés organométalliques

Cette classe de composés est principalement utilisée dans les laboratoires de chimie pour des réactions organiques spécifiques. La majorité des métaux du tableau périodique des éléments, peuvent être utilisés pour produire ces réactifs ; le magnésium, le zinc et les métaux alcalins (principalement le lithium) sont les plus courants.

Les caractéristiques générales de cette classe concernent la sensibilité à l’air et à l’humidité. Ces produits doivent donc être stockés sous gaz inerte (azote ou argon) dans des bouteilles hermétiques à basse température (généralement au réfrigérateur à + 4 °C). Si ces conditions ne sont pas respectées, le produit peut se décomposer, entraînant une baisse de la concentration de la solution. Ce phénomène est susceptible de faire échouer une synthèse organique réalisée avec des composés organométalliques. La FDS fournira des informations supplémentaires.

Les exemples représentatifs de composés organiques de lithium sont le n-butyl lithium et le tert-butyl lithium. Ils sont tous deux disponibles sur le marché sous forme de solutions de différentes concentrations dans les solvants organiques (tétrahydrofurane, pentane, hexane) et servent de base très forte dans les processus de transformation organique.

Selon le règlement CLP, ces deux substances sont classées comme « liquides pyrophoriques » et « substances et mélanges qui, au contact de l’eau, dégagent des gaz inflammables (catégorie 1) ». En effet, ces substances s’embrasent au contact de l’air et la réaction elle-même est fortement exothermique. La chaleur dégagée peut donc enflammer les gaz (butane et isobutane) qui se forment lors de la décomposition. Il est à noter que tous les composés organiques du lithium sont très réactifs et doivent être stockés avec précaution.

L’appellation historique des composés organiques du magnésium est « réactifs de Grignard », du nom du chercheur qui les a synthétisés pour la première fois. Tous les composés organiques commerciaux de magnésium et de zinc ont une classification CLP similaire (liquides pyrophoriques et hydroréactifs, catégorie 1).

Ils doivent être stockés au réfrigérateur sous atmosphère inerte pour réduire la probabilité de décomposition partielle. À noter que tous les composés présentés ne sont pas classés CMR à l’état pur ; en revanche, c’est le cas de certains solvants utilisés pour leur mise en solution, tels le tétrahydrofurane ou certains alcanes (comme le n-hexane, qui est classé toxique pour la reproduction, catégorie 2).

Les peroxydes

Les peroxydes organiques sont des composés contenant la fonction peroxyde (R-O-O-R’). Ils peuvent être considérés comme les dérivés du peroxyde d’hydrogène H2O2 (eau oxygénée), dans lequel un ou deux hydrogènes ont été remplacés par un ou deux groupes organiques (-R). Si un seul atome d’hydrogène est remplacé, les composés sont appelés hydroperoxydes.

Ils sont principalement utilisés dans les réactions de synthèse organique et certains d’entre eux (peroxyde de benzoyle) sont même utilisés pour traiter certains problèmes dermatologiques. Les peroxydes organiques les plus courants sont le peroxyde de benzoyle, l’acide peracétique, le peroxyde de dicumyle et l’hydroperoxyde de tert-butyle.

Tous les peroxydes sont des substances potentiellement explosives du fait de la présence de deux atomes d’oxygène directement liés l’un à l’autre. La liaison O-O est une liaison chimiquement instable ; en conséquence, des molécules d’oxygène peuvent facilement se former en libérant simultanément beaucoup d’énergie.

La réglementation CLP réunit les peroxydes organiques pouvant provoquer des explosions ou des incendies dans une classe spécifique de danger physique. Le peroxyde de benzoyle appartient à la catégorie Type B de cette classe, la seconde en terme de sévérité du danger (produit instable, susceptible de se décomposer sous l’effet de la chaleur ou par chocs mécaniques, frottements ou contacts avec d’autres produits). La décomposition, en produisant de la chaleur, peut s’accélérer ; ce peroxyde est susceptible de s’enflammer et provoquer un incendie, ou d’exploser dans son emballage. Les autres peroxydes sont classés dans des catégories moins sévères.

Compte tenu de toutes ces caractéristiques la température de stockage doit donc être régulée précisément. Cette température est généralement fixée entre 10 et 20°C en dessous de la température la plus basse à laquelle une décomposition du peroxyde peut se produire dans son emballage (appelée Température de décomposition auto-accélérée TDAA), lorsque celle-ci est inférieure à 50°C. Les conseils de prudence du règlement CLP ne précisant pas la température de stockage, il convient de consulter la FDS (concernant le peroxyde de dicumyle, par exemple,  la rubrique 7.2 recommande une température de stockage située entre 2 et 8°C) .

Ce qu’il faut retenir

La température de stockage est un point important pour la sécurité qu’il faut examiner avec attention, avant même de se procurer le produit. Pour certains composés les plus instables, tels que les peroxydes organiques, elle doit être contrôlée en permanence.

Les composés organiques évoqués ci-dessus sont loin de couvrir une liste exhaustive des produits chimiques utilisés en laboratoire. Il est impossible de traiter de la totalité des produits et décrire leurs caractéristiques chimiques. Certains points communs peuvent cependant être relevés.

D’une façon générale, il est fortement recommandé de stocker tous les produits chimiques au frais dans une zone ventilée voire pour certains au froid, avec des équipements sécurisés. La consultation de la FDS est impérative, et, le cas échéant, il convient de s’adresser au fournisseur en cas d’interrogation complémentaire. Des spécialistes en chimie peuvent également être consultés.


[1] Règlement (CE) n1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006.
[2] Données issues des dossiers d’enregistrement des substances disponibles sur le site de l’ECHA https://echa.europa.eu/fr/home
[3] James J. Christensen, Delbert J. Eatough, and Reed M. Izatt, Chem. Rev. 1974, 74, 351–384.