Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Les anions fluorures dans l’eau, pas si simple qu’il n’y paraît

L’acide fluorhydrique (HF), largement utilisé dans les laboratoires industriels et scientifiques, est un composé extrêmement dangereux qui doit être manipulé avec toutes les précautions. Mais travailler avec ses sels (fluorures ou autres dérivés) n’est pas moins dangereux. La connaissance de la nature du danger que représente cette substance et ces dérivés, ainsi que l’observation de simples règles de sécurité réduisent considérablement le risque d’accident.

L’acide fluorhydrique est dangereux…

Le fluorure d’hydrogène est un gaz incolore soluble dans l’eau donnant une solution d’acide fluorhydrique. Le fait que cet acide soit considéré comme faible ne signifie pas qu’il est moins dangereux. En effet, il peut pénétrer profondément à travers la peau (comme les bases) et provoquer des graves lésions cutanées profondes sans symptôme significatif au départ. Dans certains cas, une intoxication générale peut aussi se produire ; elle résulte de la liaison des anions fluorures F aux cations calcium Ca2+ dans le sang qui provoque une hypocalcémie et peut aboutir à une défaillance cardiaque.

…Et ses dérivés tout autant

Les fluorures ou sels de fluor, tels que le fluorure de sodium (NaF) ou de potassium (KF), peuvent aussi provoquer une irritation ou une corrosion des yeux et de la peau. Le fait que les acides soient des irritants pour les tissus biologiques n’est pas surprenant, ils génèrent en présence d’eau des ions H+* qui réagissent avec les constituants de ces tissus et les dégradent. Mais qu’en est-il de leurs sels ? Les sels de la plupart des acides sont moins dangereux que leurs « parents » chimiques (acides et bases), mais il existe toujours des exceptions. C’est précisément le cas pour les fluorures.

Le diable se cache dans l’hydrolyse

La raison de la dangerosité des fluorures provient du processus nommé hydrolyse. En termes simples, l’hydrolyse est la réaction chimique en solution entre un solvant (eau) et un soluté (sels). Les sels des acides et des bases fortes comme, par exemple le chlorure de sodium (NaCl), ne réagissent pas avec l’eau et seuls les phénomènes des dissolution et dissociation se produisent lorsque le sel et l’eau sont mélangés. Les fluorures ainsi comme des chlorures, composés ioniques, se dissocient en donnant des ions chargés (Na+ et F et Na+ et Cl, respectivement). Parallèlement, l’eau elle-même peut se dissocier en H+ et OH. La concentration de ces ions est très faible (10–7 M chacun), mais elle est suffisamment élevée pour créer des processus indésirables. Ainsi, lorsque NaF ou NaCl sont solubilisés dans l’eau, le mélange d’ions suivant est présent avec les molécules d’eau :

Tous les ions ainsi que les molécules d’eau sont en mouvement et interagissent en permanence (selon une règle physique connue selon laquelle les ions de charges opposées s’attirent).

Cas du chlorure de sodium (NaCl)

L’ion Na+ interagit avec l’ion hydroxyde OH donnant momentanément une très petite quantité de NaOH. C’est une base forte, de sorte qu’au moment où elle se forme, elle se dissocie. Simultanément, H+ interagit avec Cl donnant l’acide fort HCl qui se dissocie immédiatement. De ce fait l’équilibre entre les ions en solution n’est pas perturbé.

Cas du fluorure de sodium (NaF) 

Lorsque les fluorures (NaF, KF) sont mélangés avec l’eau, la situation est un peu plus compliquée. H+ interagit avec F, aboutissant à la formation d’une petite quantité de HF. Mais dans ce cas particulier, l’acide fluorhydrique étant un acide faible, il ne se dissocie plus une fois formé et reste dans sa forme moléculaire. Dans ce cas, l’équilibre entre les ions en solution est rompu. L’équation de réaction entre l’eau et le fluorure de sodium peut s’écrire comme ci-dessous.

Ce cas particulier s’appelle l’hydrolyse du sel de base forte et d’acide faible. D’après l’équation, la solution sera basique en raison de la présence d’un excès d’ions hydroxyles. C’est l’une des principales raisons de la corrosivité des solutions aqueuses de sels. De plus, l’acide fluorhydrique HF, présent en solution, apporte un danger supplémentaire (corrosivité et toxicité). En effet, NaF possède la classification suivante : Corrosion cutanée (catégorie 2) ; lésion oculaire grave et Irritation oculaire (catégorie 2) ainsi que Toxicité aiguë (catégorie 3, toxique en cas d’ingestion) [1].

À noter qu’en cas d’ingestion de NaF ce dernier réagit immédiatement avec HCl qui est présent dans les sucs digestifs de l’estomac humain et donne de l’acide fluorhydrique à l’état pur avec les effets néfastes consécutifs.

Évitons le stockage des solutions des dérivés du fluorophosphate

Parmi les autres dérivés du fluor largement utilisés dans les laboratoires, on trouve les sels contenant l’anion hexafluorophosphate [PF6], reliquat de l’acide fort H[PF6], qui n’existe qu’en solution aqueuse. Les hexafluorophosphates sont principalement utilisés en chimie de coordination comme contre-ion pour stabiliser les gros cations et par ailleurs il ne se lie pas aux métaux (c’est l’un des ligands non-coordinants les plus connus). Commercialisé sous forme d’hexafluorophosphates d’ammonium ou de potassium ((NH4)[PF6] ou K[PF6]), ils sont tous deux classés Corrosifs cutanés (catégorie 1B) et Lésion oculaire grave et irritation oculaire (catégorie 1) pour (NH4)[PF6] et (catégorie 2) pour K[PF6].

Ce classement résulte de la mise en cause du même phénomène d’hydrolyse, mais le cas de cet anion est tout à fait particulier. En général, l’ion [PF6] est stable en solution aqueuse, mais des études ont démontré que si une solution contenant des anions [PF6] est stockée plusieurs semaines, HF se forme jusqu’à une concentration molaire de 5 % [2].

Dans le cas où les [PF6] sont solubilisés et stockés dans des solvants organiques, l’hydrolyse peut aller plus vite, en particulier si les solvants contiennent des traces d’eau, ce qui est le cas la plupart du temps. L’étude [3] du mécanisme de décomposition a été réalisée avec l’hexafluorophosphate de lithium Li[PF6] ; il est présenté ci-dessous.

La dissociation de [PF6] se produit de différentes manières selon que l’on utilise des solvants organiques ou de l’eau. Dans l’eau, cet anion reste stable tandis que dans un solvant organique, il se forme PF5, une molécule très réactive surtout en présence d’eau. Le résultat de cette réaction est la formation d’un mélange de différents composants, dont plus particulièrement de l’acide fluorhydrique. Ainsi, les solutions de dérivés de fluorophosphate dans des solvants contenant des traces d’eau et qui sont conservées dans le temps génèrent de l’acide fluorhydrique qui représente un risque certain qu’il faut savoir maîtriser. Les utilisateurs doivent donc en être informé.

Quelques règles à retenir

Afin de prévenir les risques pour la santé et d’autre part réduire l’hydrolyse partielle de ces composants, quelques règles simples doivent être suivies :

  • Les solutions doivent être préparées et stockées dans des récipients en plastique. En effet, au contact du verre, elles réagissent avec ce dernier en générant des impuretés supplémentaires.
  • Pour réduire le niveau d’hydrolyse, il est fortement recommandé de ne pas chauffer les solutions ; en effet, une température élevée favorise la dissociation de l’eau qui entraîne ensuite l’augmentation de la concentration de H+ et OH.
  • Le stockage prolongé des solutions contenant F et PF6 est déconseillé. Il est préférable de la préparer extemporanément.
  • Les équipements de protection collective et individuelle doivent être toujours disponibles et utilisés lors de la manipulation de ces sels en solution ou à l’état solide.
  • Il est absolument nécessaire d’avoir à disposition du gluconate de calcium (gel 2,5 %) au laboratoire si des manipulations avec HF, NaF, KF, NH4[PF6] ou K[PF6] sont prévues.

 

Conduite à tenir en cas de contamination

  • En cas de contact avec la peau, un lavage à l’eau est nécessaire, cependant le temps de lavage doit être réduit (quelques minutes) pour appliquer le gluconate de calcium. Une consultation aux service médical doit être demandée si la surface contaminée est importante ou mal située.
  • En cas de contamination des yeux, un lavage à l’eau pendant quinze minutes au minimum en écartant les paupières est nécessaire. Une consultation aux service médical et ophtalmologique doit être demandée dans tous les cas.
  • En cas de déversement, absorber avec une substance inerte. Il ne faut pas utiliser de vermiculite ni de sable, ils réagissent avec HF et dégagent un gaz toxique, le tétrafluorure de silicium (SiF4).


[1] Règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006.

[2] A.V. Plakhotnyk, L. Ernst, R. Schmutzler, Journal of Fluorine Chemistry, 2005, 27-31.

[3] L. Terborg, S. Nowak, S. Passerini, M. Winter, U. Karts, P.B. Haddad, P.N. Nesterenko, Analytica Chimica Acta, 2012, 121-126.

* H+ n’existe que dans la forme d’ions hydronium H3O+ dans les solutions aqueuses. Dans l’article, H+ a été utilisé pour une raison de simplicité.

Crédits photo : Thibaut VERGOZ / CEREGE / CNRS Images