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Le BET, utile mais toxique ?

Le bromure d’éthidium est bien connu des personnels de laboratoire. En biologie moléculaire et cellulaire, cette substance chimique est largement utilisée mais n’en est pas moins redoutée pour son caractère toxique et potentiellement mutagène. Quels sont ses dangers et comment les identifier ?

Le BET, utile mais toxique ?

Le bromure d’éthidium, agent intercalant

Le bromure d’éthidium (BET) est une substance chimique couramment utilisée dans les laboratoires de biologie moléculaire et cellulaire comme marqueur non radioactif des acides nucléiques. Il permet d’identifier et de visualiser des brins d’ADN ou d’ARN dans les électrophorèses et dans d’autres méthodes de séparation.

Le BET est une substance cristalline rouge sombre, non volatile, modérément soluble dans l’eau et qui produit facilement une fluorescence de couleur rose à rougeâtre lorsqu’il est exposé aux ultraviolets.
Sa structure et sa conformation lui permettant de s’insérer entre les bases des acides nucléiques, on qualifie le BET d’agent intercalant. Sa fluorescence, plus intense lorsque le BET est intercalé dans une molécule d’ADN, fait de cette substance un indicateur très sensible pour la détection des acides nucléiques. C’est pour cette raison que son usage est très répandu. Le BET est aussi connu pour être un inhibiteur de la synthèse d’ADN.

Le BET est un produit très toxique et potentiellement mutagène. Le personnel de laboratoire, le plus souvent informé des dangers de cette substance, l’utilise dans des analyses de routine et est donc susceptible d’être exposé sur de longues périodes. Il est donc indispensable d’observer des procédures adaptées lors de sa manipulation et son élimination.

Voir aussi → Recommandations de manipulation et d’élimination : le BET au laboratoire

Caractéristiques et structure chimique du bromure d’éthidium
Noms &
synonymes
– Bromure d’éthidium
– Bromure de 3,8-diamino-1-éthyl-6-phénylphénantridinium
– Bromure d’homidium
– BET ; EtBr
Formule brute C21H20BrN3

CAS 1239-45-8
Masse molaire 394,31 g⋅mol-1
Point de fusion 238-240 °C
Solubilité
dans l’eau
50 g⋅L-1 à 20 °C

Dans les conditions normales, le BET est un produit stable, mais il peut réagir vivement au contact d’agents oxydants forts. Le BET peut s’enflammer à température élevée, sa décomposition thermique produit des substances toxiques telles des oxydes d’azote et du bromure d’hydrogène [1].

Toxicité du BET

Le BET est, depuis les années 1950 et encore aujourd’hui [2], utilisé comme produit vétérinaire pour traiter le bétail de certaines zones africaines contre des maladies transmises par des parasites (trypanosomiases). Assez bien toléré chez les animaux traités, les effets de l’exposition sur la santé humaine ne sont que très faiblement détaillés dans la littérature. La toxicité aiguë et chronique du BET chez l’homme reste encore inconnue par manque de données disponibles. Seuls quelques tests anciens, réalisés chez des animaux de laboratoires et in vitro permettent de dessiner un profil toxicologique de cette substance [3].

L’absorption du bromure d’éthidium par les voies d’expositions professionnelles courantes (contact cutané, inhalation ou voie orale) n’est pas connue chez l’homme, et n’a pas fait l’objet d’études chez l’animal.
Par analogie à d’autres composés de structure voisine, le BET est considéré comme un irritant modéré pour les yeux, les muqueuses et la peau, mais aucun test n’a été effectué. Sa toxicité aiguë est assez faible par voie orale ou par contact cutané (DL50 rat par voie orale ou cutanée [4] ≈ 1500 mg/kg) mais forte par inhalation (CL50 rat par inhalation [5] = 0,118-0,134 mg/L/4h) comme certaines fiches de données de sécurité l’indiquent parfois.

À ce jour, il n’existe pas de donnée disponible montrant un effet toxique chronique de la substance chez l’homme ou l’animal, par les voies d’exposition courantes (orale, par inhalation ou cutanée). Si certaines sources suggèrent un effet cancérogène du bromure d’éthidium, il n’existe pas de donnée validée. Cette dernière allégation semble par ailleurs être contredite par des études montrant un effet anti-tumoral de la substance chez la souris par inhibition de la synthèse d’ADN (Nishiwaki et al., 1974 [6]).

L’effet toxique préoccupant du bromure d’éthidium est la possibilité d’induire des mutations génétiques. Du fait de sa structure poly-aromatique à caractère hydrophobe, le BET est capable de former des liaisons faibles avec les paires de bases d’acides nucléiques et de s’insérer à l’intérieur des molécules d’ADN. C’est pourquoi on le qualifie d’agent intercalant.

→ Au centre, structure moléculaire de l’éthidium intercalée entre deux paires de bases adénine-uracile. Image Wikimedia Commons, 2005, domaine public.

En agissant de la sorte, les agents intercalants peuvent modifier la structure spatiale de la molécule d’ADN et perturber ainsi la réplication, la transcription et la réparation de l’ADN par les systèmes enzymatiques cellulaires. Tous les agents intercalants sont potentiellement mutagènes et certains tests de toxicologie permettent de les identifier. En effet, de nombreux tests in vitro de mutations géniques sur bactéries (tests d’Ames) ont montré que le BET provoque des mutations chez ce type cellulaire après activation métabolique [7] (Mattern, 1976 [8]).

Test d’Ames

→ Essai in vitro de mutagénicité utilisant des souches mutantes de Salmonella typhimurium. Il existe plusieurs souches incapables de se développer en absence d’histidine en raison d’un défaut métabolique dans la biosynthèse de l’histidine. Les agents mutagènes peuvent induire l’augmentation de la fréquence des mutations réverses permettant aux bactéries de récupérer leur aptitude à se développer dans un milieu sans histidine.

D’autres études in vitro et in vivo chez diverses espèces animales ont aussi montré le potentiel génotoxique du BET. Le bromure d’éthidium, comme de nombreux agents intercalants, semble provoquer des mutations dites « décalantes » correspondant à l’insertion d’un nucléotide supplémentaire au cours de la phase de réplication de l’ADN, là où la molécule s’est insérée. Ce type de mutation ponctuelle, lorsqu’elle n’est pas réparée, provoque un décalage du cadre de lecture lors de la synthèse des protéines, produisant le plus souvent, une protéine non fonctionnelle « plus courte » (apparition d’un codon « stop » prématuré) ou chimérique en fonction du site de la mutation dans le gène.

Des essais de tératogénèse ont montré que le BET, à des doses proches des doses toxiques, provoque des malformations sévères chez des embryons de grenouilles xenopes (test FETAX) (Courchesne, 1985 [9]) mais un test ultérieur du même auteur (Courchesnes, 1986 [10] ne semble pas confirmer ce résultat.

Il n’existe, à ce jour, aucune preuve que les effets toxiques du BET observés dans les essais in vivo ou in vitro peuvent se produire chez l’homme. Mais, dans l’attente d’études où la force probante des données permettra d’infirmer ou confirmer une absence d’effet chez l’homme, il convient de manipuler cette substance avec une extrême prudence et de respecter des procédures rigoureuses pour éviter l’exposition professionnelle.

Classification et étiquetage du BET

Le bromure d’éthidium fait partie de la liste des substances chimiques dangereuses dont la classification et l’étiquetage sont harmonisés au niveau européen. Cette liste figure dans l’annexe VI du Règlement (CE) n1272/2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, dit règlement CLP. Le bromure d’éthidium fait partie des substances dites « CMR » (groupe de substances qui présente au moins l’un des dangers Cancérogène, Mutagène sur les cellules germinales, ou toxique pour la Reproduction).

Classification et étiquetage du bromure d’éthidium solide selon le Règlement (CE) no 1272/2008
Classification Étiquetage
− Mutagénicité sur les cellules germinales, catégorie 2
− Toxicité aiguë par inhalation, catégorie 2
− Toxicité aiguë par ingestion, catégorie 4

DANGER
Mentions de dangers
H341 Susceptible d’induire des anomalies génétiques
H330 Mortel par inhalation
H302 Nocif par ingestion

Sur la base des informations disponibles, la substance est classée entre autres : « mutagène pour les cellules germinales de catégorie 2 ». Cette catégorie comprend des substances préoccupantes du fait de leur potentialité à induire des mutations héréditaires (modifications permanentes de la quantité ou de la structure du matériel génétique des cellules transmises à la descendance) dans les cellules germinales des êtres humains.

Les cellules germinales sont les cellules des organes sexuels intervenant dans le processus de fécondation : ovocytes et spermatocytes. Ces cellules, à l’origine de tout être vivant, contiennent le matériel génétique qui permettra la formation du patrimoine génétique. Les mutations survenant au niveau des cellules germinales modifient donc l’information génétique (génotype) du nouvel individu. Ceci peut potentiellement entrainer une modification de certains caractères exprimés au niveau moléculaire, cellulaire, organique, anatomique… Certaines mutations de ce type peuvent donc engendrer l’apparition de maladies dites génétiques.

En l’absence de résultats positifs provenant d’études humaines et animales, seuls les résultats in vitro décrits précédemment ont permis la classification de cette substance dans cette catégorie.


En savoir plus : Le BET au laboratoire | Le BET : comment te dire adieu

 

[1] Fiche Toxicologique FT236, INRS

[2] K. Lalchhandama. The making of modern biotechnology: how ethidium bromide made fame. Science Vision 16:1, 27-36. 2016.

[3] Summary of data for chemical selection. Ethidium Bromide. National Toxicology Program (NTP), U.S. Department of Health and Human Services, 1994 : Nomination Background: Ethidium bromide (CASRN: 1239-45-8) (nih.gov)

[4] DL50 : Dose Létale 50. Mesure expérimentale de la toxicité à court terme (toxicité aiguë) d’une substance. Elle représente la quantité de substance, administrée en une seule fois, qui cause la mort de 50 % d’un groupe d’animaux d’essai. La DL50 est exprimée en masse de produit chimique administré par kilogramme de poids corporel de l’animal.

[5] CL50 : Concentration Létale 50. Mesure expérimentale de la toxicité à court terme (toxicité aiguë) d’une substance. Elle représente la concentration de substance dans l’air, inhalée dans un temps donné (4 heures), qui cause la mort de 50 % d’un groupe d’animaux d’essai. La CL50 est exprimée en masse de produit chimique par volume d’air.

[6] Nishiwaki H., Miura M., Imai K., Ohno R., & al. Experimental studies on the antitumor effect of ethidiumbromide and related substances. Cancer Research, 34:2699, 1974.

[7] Activation métabolique : Équivalence de la transformation métabolique des substances chimiques absorbées par l’organisme.

[8] Mattern I.E. Mutagenicity of ethidium bromide after metabolic activation in vitro. Mutation Res., 38:120,1976.

[9] Courchesne, C.L. & Bantle, J.A. Analysis of the activity of DNA, RNA, and protein synthesis inhibitors onXenopus embryo development. Teratogen., Carcinogen., Mutagen., 5:177, 1985.

[10] Courchesne, C.L., Dawson, D.A. & Bantle, J.A. Detection of inhibitors of protein and nucleic acid synthesis using oocytes of Xenopus laevis microinjected with the herpes thymidine kinase gene. Chemico-Biological Interactions, 60:1, 13-30. 1986.

Crédit photo CNRS Photothèque – Jérôme Chatin. Analyse d’acide nucléique par électrophorèse et visualisation en lumière ultra-violette (UV). Les fragments d’ADN sont séparés selon leur taille et donc leur charge électrique, dans un milieu gélifié (gélose), sous l’influence d’un champ électrique (électrophorèse). Le bromure d’éthidium s’intercale dans la double hélice d’ADN, et émet une fluorescence en UV.