En 1985, en Italie, un conteneur d’acide sulfurique (H2SO4) explose, causant le décès de deux manipulateurs à proximité. Le conteneur est projeté à travers l’atelier et détruit deux autres conteneurs de H2SO4. L’enquête a indiqué que l’explosion résultait de l’inflammation du dihydrogène ; ce dernier s’est formé à cause de la corrosion du bac en acier par l’acide, résultat d’un entretien insuffisant des équipements de stockage.
En 2022, en France, une fuite d’acide nitrique (HNO3) se produit dans un local d’une usine spécialisée dans la fabrication de structures et sous-structures métalliques. L’acide nitrique a réagi avec la rétention en acier galvanisé, produisant une émanation de gaz de couleur orange caractéristique du dioxyde d’azote (NO2). Cette fois-ci, tout s’est passé sans conséquences graves et sans victime, mais les incidents et accidents résultant d’une réaction entre un objet en métal (conteneur ou autre pièce métallique) et un acide restent fréquents.
Les métaux, des éléments omniprésents
La majorité des éléments du tableau périodique sont des métaux. Ainsi, sur les cent-dix-huit éléments connus à ce jour, environ quatre-vingts sont de nature métallique. Certains d’entre eux sont connus depuis l’Antiquité (mercure, or, argent, fer, cuivre, etc.), mais la plupart ont été caractérisés en tant qu’éléments chimiques au cours des derniers siècles, alors que se développaient les sciences chimiques.
Compte tenu de leur relative abondance dans le milieu naturel et de leurs propriétés particulières, la majorité des métaux sont couramment utilisés dans l’industrie et les laboratoires de recherche.
Dès le collège, on enseigne les caractères et propriétés propres aux métaux tels que leur éclat métallique, leur conductivité et leur capacité à échanger des électrons, en montrant leurs propriétés réductrices, lors de réactions d’oxydoréduction.
Dis-moi si tu partages tes électrons, je te dirai qui tu es
Les métaux ont des propriétés chimiques très diverses et leur capacité à échanger leurs électrons est un des critères qui dépend de leur position dans le tableau périodique. Plus cette capacité est élevée plus un métal est réactif. L’un des paramètres servant à décrire quantitativement cette capacité est la valeur du potentiel d’électrode standard E0Mn+/M. Celle-ci a été mesurée pour chaque métal, en utilisant l’électrode standard à dihydrogène (H2), dont le potentiel a été adopté comme valeur de référence (0 V) [1]. Il est possible d’établir selon ces données une échelle de réactivité comprenant les métaux couramment utilisés en laboratoire.

Cette échelle s’interprète aisément. Plus la valeur de E0 est négative, plus les propriétés réductrices du métal sont fortes et plus son activité chimique est élevée. À l’inverse, une valeur positive de E0 signifie une affinité pour les électrons plus forte. Cette dernière indique qu’il faudra un peu plus d’énergie pour transférer des électrons au cours d’une réaction chimique. Cela rend l’activité de ces métaux plus faible. Tous les métaux en début d’échelle – avant l’hydrogène – sont les plus réactifs, tandis que ceux situés à l’autre extrémité, après l’hydrogène, sont les plus inertes. Certains parmi ces derniers sont aussi qualifiés de métaux nobles : l’argent, le palladium, le platine, l’or…
Cette échelle présente l’activité des métaux dans les solutions aqueuses selon des conditions opératoires fixées. Elle peut également rendre compte de la réactivité des métaux aux acides. Il existe un certain nombre de principes :
- Les métaux situés avant la référence sont capables de réagir avec tous les acides, libérant du dihydrogène, un gaz extrêmement inflammable, ainsi que le sel associé.
- Les métaux situés après la référence ne réagissent pas avec les acides minéraux et organiques car, le potentiel d’électrode standard de H2 étant plus bas, l’oxydation est impossible.
Toutes les propriétés chimiques de base de chaque groupe sont résumées dans le tableau ci-dessous.
| Métal | Ion | E0, V | Réactivité du métal |
| Li | Li+ | –3,04 | Métaux alcalins / alcalinoterreux. Réagissent violemment avec l’eau chaude ou froide (explosion pour Rb et Cs). Les réactions avec un acide fort conduisent également à une explosion. |
| Cs | Cs+ | –3,03 | |
| Rb | Rb+ | –2,98 | |
| K | K+ | –2,93 | |
| Ba | Ba2+ | –2,91 | |
| Sr | Sr2+ | –2,89 | |
| Ca | Ca2+ | –2,87 | |
| Na | Na+ | –2,71 | |
| Mg | Mg2+ | –2,37 | Réagit très lentement avec l’eau froide, mais rapidement avec l’eau bouillante, et très vigoureusement avec les acides. |
| Al | Al3+ | –1,66 | Réagit violemment avec les acides forts. Ne réagit pas avec l’eau, grâce à une couche d’oxyde en surface qui protège le métal. Si sa surface est activée, la réaction avec l’eau devient possible et est très vive. |
| Mn | Mn2+ | –1,19 | Réagissent avec tous les acides. La réaction est vive au contact des plus forts. Ne réagissent pas avec l’eau, qu’elle soit chaude ou froide. |
| Cr | Cr2+ | –0,74 | |
| Zn | Zn2+ | –0,76 | |
| Fe | Fe2+ | –0,44 | |
| Cd | Cd2+ | –0,4 | |
| Co | Co2+ | –0,28 | |
| Ni | Ni2+ | –0,25 | |
| Sn | Sn2+ | –0,14 | |
| Pb | Pb2+ | –0,13 | |
| [ H2 ] | [ H2 ] | 0 | Référence |
| Cu | Cu2+ | 0,34 | Réagissent uniquement avec des acides oxydants tels que HNO3 (dilué et concentré), H2SO4 (concentré), HClO4 (solutions concentrées et chaudes). |
| Hg | Hg2+ | 0,85 | |
| Ag | Ag+ | 0,8 | |
| Pd | Pd2+ | 0,95 | Réagissent avec l’eau régale (mélange d’un volume de HNO3 concentré et de trois volumes de HCl concentré). |
| Pt | Pt2+ | 1,18 | |
| Au | Au3+ | 1,401 |
Tous les métaux actifs sont incompatibles non seulement avec les acides, mais aussi avec l’eau. Les métaux alcalins [2] et alcalino-terreux [3] réagissent ainsi très fortement à l’eau en libérant de l’hydrogène. Ces réactions sont suffisamment exothermiques pour l’enflammer et engendrer potentiellement une explosion. Au contact des acides, en particulier s’ils sont concentrés, ils réagissent systématiquement par une explosion, beaucoup plus violente qu’avec l’eau.
Acides non oxydants, acides oxydants
Pour comprendre la réactivité des métaux vis-à-vis des acides, les acides sont classés en deux catégories. La première rassemble les acides que ne produisent que du dihydrogène et que, par simplification, on appellera « non oxydants » (HCl, HBr, H3PO4, tous les acides organiques, H2SO4 dilué) ; la seconde réunit les acides « oxydants » qui ne produisent pas de dihydrogène (H2SO4 concentré, HNO3 quelle que soit la concentration, HClO4 concentré).

Dans le cas de la première catégorie, les acides non oxydants, le seul produit de réduction possible est le dihydrogène, tout simplement parce que l’hydrogène présente deux degrés d’oxydation stables (+ 1 et 0). À noter qu’il existe une classe de composés chimiques particulière appelée hydrures métalliques, dans laquelle l’hydrogène existe sous forme d’anion H−.
La seconde catégorie contient tous les acides dont les propriétés oxydantes sont dues à un élément autre que l’hydrogène ou l’oxygène. La réaction dépend donc fortement de la nature de cet élément et de la concentration de l’acide, mais elle ne produit en aucun cas de dihydrogène. Cependant, d’autres gaz, pour la plupart très dangereux pour la santé, peuvent se former.
Dans le cas de l’acide perchlorique HClO4, oxydant puissant en solution concentrée, le chlore est l’élément oxydant ; il possède plusieurs degrés d’oxydation possibles. Le fait que l’acide perchlorique soit un oxydant uniquement dans les solutions concentrées réduit la gamme des produits de réduction possibles. Dans les faits, pour la plupart des cas, il se forme du ClO2, les autres oxydes étant instables ou théoriques. Dans certaines conditions, par exemple en présence de métaux actifs, il est possible de réduire HClO4 jusqu’à Cl2. En solution diluée, cet acide a un comportement « classique, non oxydant », entrainant la formation de dihydrogène comme produit de réduction.

Les réactivité des métaux avec des acides forts
Les acides nitrique et sulfurique font partie des acides les plus forts et les plus couramment utilisés dans l’industrie, en recherche, en métallurgie. Ils sont susceptibles de réagir avec tous les métaux présents sur l’échelle. L’acide nitrique (HNO3) dilué peut, en particulier, réagir par explosion avec tous les métaux actifs, donnant différents gaz (en fonction de la concentration de l’acide et de la nature du métal) allant de l’azote, inerte mais qui provoque un risque d’asphyxie, jusqu’aux oxydes d’azote (I, II), N2O et NO, qui sont mortels en cas d’inhalation.

Plus un métal est actif et la solution d’acide nitrique diluée, plus la réduction de l’azote est importante. Dans ce cas, de l’ammoniac peut facilement se former, et il réagit immédiatement avec l’acide pour former du nitrate d’ammonium (NH4NO3). À noter que les métaux actifs peuvent générer une large gamme de produits de réduction de l’acide. L’aluminium et le magnésium, par exemple, produisent du diazote (N2) ou même de l’oxyde d’azote (I) (N2O). Le résultat est fonction de la concentration de l’acide nitrique (HNO3) et des conditions de réaction telles que la température. Si la concentration de l’acide nitrique augmente, la réduction de l’azote est moins importante et la réaction libère du monoxyde d’azote (NO).
L’acide sulfurique (H2SO4) concentré, pour sa part, produit du sulfure d’hydrogène H2S (mortel en cas d’inhalation) et de l’oxyde de soufre (IV) SO2 (toxique en cas d’inhalation). On observe en la circonstance des subtilités communes et une similarité de comportement avec l’acide nitrique. Plus un métal est actif, plus il est « disposé » à susceptible de partager ses électrons. En conséquence, l’atome de soufre remplit sa couche électronique externe avec les électrons du métal pour aboutir à la génération d’une molécule de sulfure d’hydrogène (H2S). Comme dans le cas de l’acide nitrique, le produit de réduction dépend de la concentration de l’acide sulfurique.
Pour de l’acide concentré à environ 40‑60 % en présence de métaux actifs, du sulfure d’hydrogène (H2S) peut se former. Dans le cas d’un acide plus concentré, de l’ordre de 70‑100 %, le sulfure d’hydrogène, réducteur puissant, peut lui-même réagir avec H2SO4 en produisant du souffre. Ce dernier va également entrer en réaction avec H2SO4 en produisant de l’oxyde de soufre (IV), SO2. Toutes ces réactions peuvent être décrites selon les équations suivantes :
8 Na + 5 H2SO4(conc.) → H2S(g) + 4 Na2SO4 + 4 H2O
4 Mg + 5 H2SO4(conc.) → H2S(g) + 4 MgSO4 + 4 H2O
3 H2S + H2SO4(conc.) → 4 S + 4 H2O
S + 2 H2SO4(conc.) → 3 SO2(g) + 2 H2O

C’est pourquoi, en présence de métaux très actifs, on peut parfois observer également la formation de dioxyde de soufre (SO2). Les métaux modérément actifs, en revanche, génèrent moins de variété ; l’unique produit de réduction possible est le dioxyde de soufre.
Les métaux d’activité modérée et peu réactifs
Les métaux d’activité modérée sont eux aussi incompatibles avec tous les acides. Ainsi, les acides « non oxydants » (H2SO4 dilué, HCl, HBr, H3PO4, acide acétique, acide formique…) peuvent réagir fortement au contact de ces métaux en formant du dihydrogène. Les acides « oxydants », pour leur part, ne produisent jamais de dihydrogène, mais du monoxyde d’azote (NO) dans le cas de l’acide nitrique dilué, et du dioxyde de soufre (SO2) dans le cas de l’acide sulfurique concentré. Il est à noter que l’acide sulfurique (H2SO4) concentré ne réagit pas au froid avec certains métaux (fer, chrome, aluminium, cobalt ou nickel) en raison de leur passivation. Cette particularité disparait à mesure que la solution se réchauffe.
Enfin, les métaux peu réactifs ne réagissent qu’avec les acides « oxydants » en raison de leur valeur E0 plus élevée que celle de l’hydrogène. Le cuivre, l’argent et le mercure réagissent avec H2SO4 et HNO3 concentrés. Avec l’acide sulfurique concentré, le seul produit de réduction est le dioxyde de soufre, quel que soit le métal en présence. Avec l’acide nitrique concentré, seul l’oxyde d’azote (IV), NO2, est produit.
Les métaux nobles (Pd, Au, Pt), quant à eux, ne réagissent ni avec H2SO4 ni avec HNO3 quelles que soient leurs concentrations. Cependant, ils peuvent être dissous dans l’eau régale, un mélange d’un volume d’acide nitrique (HNO3) concentré et de trois volumes d’acide chlorhydrique (HCl) concentré :
Au + 4 HCl + HNO3 → H[AuCl4] + NO(g) + 2 H2O
3 Pt + 18 HCl + 4 HNO3 → 3 H2[PtCl6] + 4 NO(g) + 8 H2O
Ce mélange possède des propriétés oxydantes très fortes. La présence de HCl permet la formation d’anions [AuCl4]– (dans le cas de l’or) ou de [PtCl6]2– (dans le cas du platine) par réaction de complexation des métaux. Les valeurs E0 des couples anion/métal sont plus faibles comparées à celles des couples Au3+/Au0 ou Pt4+/Pt0. L’oxydation et la dissolution de ces métaux devient alors possible. Notons que l’argent ne réagit pas avec l’eau régale grâce à la formation d’une couche de AgCl qui protège le métal.

Conseils de prévention
Afin de prévenir tout incident ou accident, il convient d’observer les précautions suivantes. :
- La grande majorité des métaux sont incompatibles avec les acides. Tout contact peut engendrer une réaction violente, suivie dans certains cas d’une explosion et de la formation de gaz toxiques. En conséquence, les métaux doivent être conservés dans un endroit isolé, sans contact possible avec les acides. De la même manière, les acides concentrés et dilués ne doivent pas être stockés dans des récipients métalliques, même temporairement.
- La réactivité d’un métal croit avec l’augmentation de la surface active. Par exemple, du fer en poudre est plus réactif qu’une plaque métallique en fer.
- Les métaux alcalins et alcalinoterreux, métaux très actifs, doivent être stockés dans l’huile minérale du fait de leur réactivité avec l’eau et l’oxygène. Ils devront toujours être désactivés par réaction avec de l’isopropanol sous atmosphère inerte avant d’être éliminés.
- Le rubidium et le césium sont, quant à eux, les plus actifs de tous les métaux. Ils doivent donc être stockés sous gaz inerte dans des ampoules scellées.
- Le potassium doit être utilisé avec des précautions particulières. En effet, dans le cas d’un stockage de longue durée, le potassium métallique est susceptible de présenter une fine couche de superoxyde (KO2) en surface. Ce dernier peut réagir au contact du métal pur, lors de son découpage par exemple, en générant une explosion. Les autres métaux (sodium, lithium et calcium) ne présentent pas ce risque.
⚫
[1] Ethan B Gallogly, Donald A McQuarrie, Peter A Rock, Chimie Générale, DE BOECK SUP 3e édition, novembre 2012.
[2] Lithium, sodium, potassium, rubidium, césium et francium.
[3] Béryllium, magnésium, calcium, strontium, baryum et radium.
Crédits images d’illustration : Adobe Firefly (IA générative).



